Histoire de la Bastide : Square André Chenier

Entre la Route Royale des Postes ( actuel Boulevard Omer Sarraut ) et la colline de Grazaille s’étendait autrefois l’espace Saint Martial.
De 1787 à 1810 le comte Jean-Pierre Fabre « de l’Aude » ( 1755-1832 ), député, sénateur et pair de France, procède à la « rectification du Canal du Midi », qui
passait jusqu’ici dans la vallée du Fresquel, au-delà de la colline de Grazaille. Les travaux sont réalisés par des prisonniers autrichiens. Désormais, sortant d’une longue tranchée, il longe le côté nord-ouest des remparts, coupe d’ouest en est l’espace Saint Martial, où est aménagé un port, puis se dirige vers le nord-est, longé par l’avenue Minervoise. 

Une des écluses de cette nouvelle section du canal se trouve juste en aval du port ; elle est enjambée par un des ponts qui portent les noms des victoires de l’Empire : le pont Marengo.
L’espace restant entre le canal et la Route Royale est aménagé en 1821 : c’est la place du Port, qui devient en 1822 la place Dauphine et en 1825 la place Marie-
Thérèse, avec une promenade au nord du canal.
En 1814 a été prévu d’y ériger une colonne commémorative à la mémoire de Louis XVI. Une colonne de marbre est repérée dès ce moment dans les carrières de Caunes ; elle est analogue à celles du Grand Trianon à Versailles, mais ce n’est pas la treizième : elle est de dimension différente. Cette colonne est revendiquée par la municipalité de Caunes pour une fontaine. Mais le projet carcassonnais est approuvé par le préfet en 1819, et confié en 1821 à François Champagne, architecte de la ville.
Mais comme Louis XVIII vient de mourir, c’est à lui qu’elle va être dédiée, avec une statue …..qui ne sera jamais mise en place. Son transport en 1821 depuis Caunes, sur un chariot à quatre roues de 1,89 mètre de diamètre, tiré par huit forts chevaux, ancêtre de nos « transports exceptionnels », nécessite des
aménagements de la route, notamment pour passer un gué à Villégly, dure deux jours et mobilise six hommes. La première pierre du monument est posée en 1823 par le baron Saint-Hilaire-Angellier, préfet, en présence du maire, le baron Charles Fournas-Moussoulens ; on installe dans le piédestal un logement contenant diverses médailles commémoratives. En 1826, on procède à l’érection de la colonne, avec un dispositif de levage impressionnant.

En 1827, la place devient le Jardin Roy a l , a v e c de s pl a n t a t ion s d’ormeaux.
1828 voit la mise en place de deux fontaines à vasques superposées, construites à Carrare par un sieur Kelly, amenées par bateau à Sète puis par le canal.
Sur les piédestaux figurent les armes de la ville basse et l’écu de France, et des inscriptions rappelant l’inauguration. Deux bas-reliefs r e p r é s e n t a n t l ’Oc é a n e t l a Méditerranée ne seront jamais installés.
De 1830 à 1870 sont aménagés des parterres fleuris, avec un « kiosque de la Forêt » dans le haut du jardin, à l’ouest, ainsi qu’en 1852 un Jardin des Plantes.
Du côté de l’est, au bas de la place, s’élève l’Hôtel Saint Jean-Baptiste, important édifice avec une aile en retour le long de la Route Royale. Ce côté de l’est est longé par une route prolongeant l’axe principal sud-nord de la bastide ( aujourd’hui rue Clémenceau ) en direction de la Montagne Noire, ancienne voie
romaine.
Après le percement du canal, un second bouleversement intervient entre la colline de Grazaille et le canal, parallèle à ce dernier : la voie ferrée de la Compagnie du Midi, achevée en 1857.
La gare de Carcassonne coupe la route de la Montagne Noire, l’obligeant à un détour vers l’est pour passer sous la voie ferrée : au sud de la gare c’est
aujourd’hui l’avenue Joffre ; au nord ( et au-dessus ) la rue Buffon.

Dans les premières années du XXème siècle, une seconde voie ferrée, métrique, appartenant aux « Tramways à vapeur de l’Aude », a sa gare de départ en face de la « Gare du Midi », sur la rive sud du canal. Elle s’en va longer la route minervoise jusqu’au carrefour de Bezons ; là elle se bifurque vers Lastours d’une part, Caunes d’autre part ( d’où elle se prolonge vers Lézignan, mais ne se raccorde pas avec la ligne à voie « normale » qui joint Caunes à Moux, sur la ligne pr i n c ipa l e Ca rc a s s o n n e -Narbonne ). Ce « tortillard » fonctionnera jusqu’en 1933. Sa présence explique pourquoi le café le plus proche du canal
s’est appelé le « Café des deux gares ».

L’année 1905 connait deux inaugurations par Dujardin-Beaumetz, secrétaire d’état aux Beaux-Arts et Camille Pelletan, maire : pose, en haut du jardin, de la première pierre du Monument aux Morts, qui sera finalement installé Boulevard de Varsovie en 1914 ; e t , e n b a s d u j a r d i n , inauguration u monument consacré à O m e r S a r r a u t ( 1844-1887 ), maire de mars à septembre 1887, mort de la fièvre typhoïde en soignant des malades ; ce monument comportait une fontaine, une stèle, le buste, et des personnages allégoriques en bronze ; il était dû au sculpteur Ducoing.

L’année suivante est installée « Helena », statue du sculpteur Raymond Sudre, symbole de la ville d’Elne, reconstruite par l’Empereur Constantin sous le nom de sa mère ( aujourd’hui devant le musée sur le square Gambetta ).

En 1914 est inauguré le somptueux Hôtel Terminus, des armes de la ville, remplaçant le vieil Hôtel Saint Jean- Baptiste, du temps des diligences ; il est du plus beau style des années 1900, juste avant la Première Guerre Mondiale !
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les Allemands récupèrent le bronze du monument d’Omer Sarraut en 1942 ; seul le buste est sauvé et sera réinstallé par la suite dans le haut du jardin. Le globe de marbre de 60 cm. de diamètre qui surmontait la colonne est détruit d’un coup de pistolet par un officier allemand ivre.

En 1954, le jardin est rebaptisé Square André Chénier, du nom du poète André-Marie Chénier ( 1762-1794 ) dont le père était né à Montfort, près de Limoux, et qui selon une légende avait assisté en 1773, donc à onze ans, à la fonte du carillon de l’église Saint Vincent. 
Dans les dernières années a été creusé un parc à voitures souterrain. Plus récemment, certains travaux nécessités par son entretien ont été l’occasion d’un
réaménagement complet particulièrement heureux. Si « Helena » a déménagé pour le square Gambetta ( où elle est bien mieux mise en valeur, masquée qu’elle était par des palmiers ! ), le buste d’Omer Sarraut a réintégré le bas de la place, mis en valeur par une fontaine. Et puis les deux fontaines du début de
l’histoire, qui ne coulaient plus depuis des décennies ( quoi de plus triste que des fontaines qui ne coulent pas ! ) coulent de nouveau.
Sur le tracé de l’actuel Boulevard Omer Sarraut, c’était la Rue Saint Bernard dans la première enceinte, puis le Boulevard de la Figuière au 16ème siècle, à partir de 1810 le Boulevard du Canal puis le Boulevard du Port, en 1883 le Boulevard du Jardin des Plantes, par la suite l’Avenue Saint Jean-Baptiste, avant
l’appellation actuelle.

Face au square, se succèdent des immeubles du 19ème siècle, de style toulousain, comportant parfois un étage d’oculus et des balcons à ferronnerie. Un groupe de ces immeubles entourant une cour, qui fait l’angle avec la rue Albert Tomey, a abrité une brasserie fondée par Philippe Lauth ( 1812-1848, né à Strasbourg ), reprise par son fils Philippe jusqu’en 1905 et hébergeant alors le premier lieu de culte protestant jusqu’en 1874, puis par son petit-fils Frédéric ( 1864-1945 ). Si la brasserie a cessé son activité en 1940, ce dernier est également l’inventeur d’un médicament censé traiter les diarrhées infantiles, a participé à la création de bassins filtrants selon la méthode de Bunau-Varilla, s’est impliqué dans de nombreuses oeuvres caritatives et a été président de la Société des Arts et Sciences. 


L’élégant bâtiment à oculus qui fait l’angle ouest de la rue Clémenceau date probablement du 18ème siècle ; c’était à l’origine le « Grand Café Continental » ; il a eu des destins variés et abrite aujourd’hui la Banque de France ( c’est tout de même mieux que Mac-Donalds ! ).
Dans la partie du Boulevard située à l’est du square, s’élève le beau pavillon du Tivoli, du 18ème siècle, et plus loin la maison de Jean Oustric, marchand de
charbon, concessionnaire des mines d’Albi.

Plus près du square, un bâtiment faisant corps avec l’hôtel Saint Jean- Baptiste abritait une manufacture de sandales et espadrilles créée en 1872 par Fidel Perxachs. 

Un autre, faisant corps cette fois avec l’Hôtel Terminus, a abrité un théâtre, plus un cinéma à partir de 1922 ; en 1930, remanié par Gaumont, il est devenu le « Théâtre-cinéma des Nouveautés », puis, avant 1940, le cinéma « Colisée ».
Celui-ci vient de faire l’objet d’une totale rénovation ; c’est le dernier rajeunissement du quartier.